Alpha Condé : ces passations de pouvoir masqués en coups d’Etat en Afrique
Quelles relations entre la chute d’Idriss Deby Itno, l’ex-chef d’Etat tchadien, et le coup d’Etat en cours en Guinée Conakry contre Alpha Condé ? Certains diront « aucun », là où des d’éléments clés de la vision africaine d’Alpha Condé et de son « frère » nous interpellent. Le président Alpha Condé n’est plus au pouvoir. Il a été officiellement renversé et a été « capturé » le 05 septembre 2021 par un Groupement des Forces spéciales dirigé par Mamady Doumbouya, son très proche colonel qu’il a lui-même sorti de la légion étrangère française pour en faire un guinéen au service de la Nation à ses côtés. C’est ainsi que l’on a vu ce dernier depuis quelques mois dans sa suite, lui tenant même parfois le parapluie en temps de pluie.
Originaire de la région de Kankan, la deuxième ville du pays après Conakry et la première en termes de superficie, Mamady Doumbouya a été Stagiaire guinéen de l’école de guerre en France. Il est titulaire d’un brevet français d’études supérieures militaires,il est diplômé de Saumur dans le cadre de la coopération entre la France et les États africains partenaires pour la formation de gradés, il a participé à des missions et opérations à l’École de guerre en France, en Afghanistan, en Côte d’Ivoire, à Djibouti, en République centrafricaine, en Israël, à Chypre et au Royaume-Uni. Après son retour au pays (en 2018), il sera nommé par Alpha Condé commandant du Groupement des forces spéciales de l’armée guinéenne en 2018 et promu lieutenant-colonel en 2019, puis colonel en 2020. Il obtient d’Alpha Condé le grade de colonel en 2020. Pour dire qu’en 3 ans, il a gravi plus rapidement les échelles que la normale. Qu’en penser ?
Une « trahison » à l’ombre du Président Alpha Condé ?
Selon le nouveau messie, il a fait son coup pour cesser avec « la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique … l’instrumentalisation de la justice … le piétinement des droits des citoyens » dans le pays. Sûrement choses qu’on ne verra plus jamais dans cette très chère Guinée. Mamady Doumbouya est né le 4 mars 1980. Il aurait donc 41 ans. Du haut de son âge et de son instruction, il sait parfaitement que ces raisons avancées ne sont que des litanies impropres à convaincre un Africain adulte et sage.
Les Guinéens ont vu pour la première fois Mamady Doumbouyaà l’occasion du défilé du cinquantenaire le 2 octobre 2018. Il y a à peine 3 ans. Et comme par curiosité son nom a circulé comme celui qui pourra, au nom de l’armée, délivrer les citoyens de l’autoritarisme du président. Ce qui est bizarre est que certaines autorités guinéennes étaient même devenues méfiantes à son égard ces derniers mois lorsqu’il a affiché clairement sa volonté d’autonomiser le Groupement des Forces Spéciales (GPS) dont il est le commandant, par rapport au ministère de la Défense.
Un CNRD cool mais ferme contre Alpha Condé
Ce sont les éléments de ce groupement, stationnés à Forécariah, à une centaine de km de Conakry, qui le mettent au pouvoir le 5 septembre 2021 après des tirs à l’arme lourde qui ont réveillé la population des abords de Sékhoutouréya, le quartier du palais présidentiel, aux alentours de 8h et qui se sont poursuivis tout au long de la matinée. Ce 06 septembre, tous les ministres sortants et les présidents des institutions étaient convoqués à une réunion au Palais du peuple, siège du Parlement, à 11 heures.
Le Comité National de Rassemblement et de Développement avait tenu de préciser que « Tout refus de se présenter sera considéré comme une rébellion contre le CNRD ». Au cours de cette réunion, Mamady Doumbouya a promis la mise en place d’un « gouvernement d’union nationale », a évoqué une période de « transition » politique, et a assuré qu’il n’y aura pas de « chasse aux sorcières » contre l’ancien pouvoir. Sans être précis sur la durée, il a aussi dit qu’ « une concertation sera ouverte pour décrire les grandes lignes de la transition, ensuite un gouvernement d’union nationale sera mis en place pour conduire la transition ».
L’ami d’Idriss Déby Itno
Après la mort de Sékou Touré en 1984, c’est par un putsch qui renverse Louis Beavogui alors président de transition que le colonel Lansana Conté arrive au pouvoir. Un an après l’arrivée de Conté, le colonel Diarra Traoré fait une tentative qui va connaître une répression sanglante au sein des forces armées. En 1996, des soldats se mutinent à nouveau et Lansana Conté échappe de peu à la mort. Il meurt en 2008. Alors que tous les Guinées ne sont même pas au courant de sa mort, Moussa Dadis Camara prend le pouvoir à la tête d’un Comité national pour la démocratie et le développement.
Avec Alpha Condé arrivé au pouvoir le 21 décembre 2010, la Guinée va panser ses plaies de transitions brusques et forcées. Mais voilà, hier ami des Français à qui il donnait tout, de Bolloré à qui il laissait tout, celui qu’on vient de démettre de ses fonctions alors qu’il a été élu démocratiquement pendant 3 mandats, a pris trop de libertés depuis quelques temps. Alpha Condé a ses phrases qui à elles seules disent le nouvel état mental de cet homme d’Etat assagi par le temps. « Il faut que la France nous laisse faire … Seuls les Africains peuvent trouver les solutions à leur problèmes … cela a déjà assez duré … Nous allons nous-mêmes trouver des solutions au développement de l’Afrique… Nous allons nous-mêmes à présent exploiter nos richesses ». Presque le remixe de l’ex-chef d’Etat tchadien assassiné en début de cette année par des forces rebelles nourries à la mamelle occidentale.
Couper l’herbe des pieds
Lors des obsèques du Maréchal, l’on l’a vu être très en froid avec le jeune Macron de la France, son alliée d’hier qui ne s’était pas gêné de déclarer quelques jours auparavant être « déçu » de lui. Et, c’est habillé de son boubou blanc, devant le cercueil de son ami et frère, adepte du panafricanisme qu’il nous avait donnés les clés de la lutte qu’il mène à présent : « Bien que tu ne sois plus là, nous allons continuer ce que nous avons commencé ensemble avec toi. Ta mort ne nous empêchera pas de faire de l’Afrique la première puissance économique [au monde] en 2050 ».
Au vue de tout ceci, l’on peut être porté à croire qu’il y a eu en Guinée un coup d’Etat appuyé par la France. Cependant, si l’on prend en compte l’âge du président Alpha Condé qui est de 83 ans, de sa proximité avec son tombeur, de la rapidité avec laquelle il a fait gravir à ce dernier les échelons dans l’armée et cette volonté visible de le faire entrer dans son sacro-saint cercle fermé des hommes du président, de la contestation incessante contre le 3ème mandat, l’on peut tout aussi croire que celui qui se présente ce jour comme tombeur de Condé, ne l’a pas poignardé dans le dos. Au contraire, il n’est tout autre que celui qui a été bel et bien choisi par le président sortant pour les besoins de sa cause panafricaine. Tout est possible.
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